DDH-75-77

 

INDEX

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La politique

LE MALENTENDU

par Paul Rassinier

 Le courant de désaffection dont le gouvernement de M. Mendès-France est l’objet de la part de l’opinion populaire — qui fut cependant si généreuse à son endroit ! — est le résultat d’un malentendu.

En juin dernier, on avait cru comprendre que, tout en s’efforçant comme il l’a fait de résoudre dans le sens de la Paix le problème indochinois et les problèmes internationaux dont ce n’était plus qu’un aspect, il s’attacherait à la résolution du problème social dans le sens des aspirations de la classe ouvrière, c’est-à-dire des discours qu’il tenait lorsqu’il était dans l’opposition.

Puis on vit comment il s’y prenait pour augmenter le pouvoir d’achat de la classe ouvrière et des fonctionnaires les plus défavorisés : à quelques francs près, c’était ce que Laniel avait fait au printemps dernier, ce qui portait à penser que les effets bienfaisants de cette politique ne seraient pas sensiblement différents.

On vit aussi comment il entendait assurer la distribution des trop-pleins de la production qu’un pouvoir d’achat presque inchangé ne réussissait en conséquence pas mieux à absorber : arrachage subventionné de vignes, distillation des fruits, dénaturation du blé, exportation à perte de certains produits, subventions aux exportateurs pour éviter une distribution supplémentaire de pouvoirs d’achat, fermeture des mines un ou deux jours par semaine pour éviter une baisse du prix du charbon ou une distribution gratuite qui viendrait aggraver, dans les finances de l’Etat, les effets de la distribution de sucre et de lait à laquelle il était impossible d’échapper, etc.

Il n’est pas jusqu’aux prix des transports où, ayant remarqué que ceux de la S.N.C.F. étaient plus élevés que ceux des routiers, M. Mendès-France n’ait préféré augmenter le prix du Fuel plutôt que de diminuer ceux du rail.

Soutenir que cette politique était différente de celle de M. Laniel eût été une gageure.

Aussi, personne ne le soutînt.

Quand l’opinion populaire se rendit compte en novembre que M. Mendès-France faisait tirer sur les Fellaghas d’Afrique du Nord comme M. Bidault sur les Indochinois dissidents, ce qui était manifestement contraire à ce qu’il leur avait promis et les punit d’avoir eu trop confiance en lui, son siège fut à peu près fait.

Si quelques doutes subsistaient encore sur les intentions du Président du Conseil, ils étaient rares, même chez ceux qui s’étaient le plus réjouis de son accession au pouvoir, et ils furent définitivement levés par la discussion du budget dont l’établissement se fit conformément aux usages, aux méthodes et aux principes en honneur sous Laniel et Pinay : si M. Mendès-France avait toujours été décidé à réaliser les réformes de structure qu’il déclarait indispensables quand il était dans l’opposition — et qui le sont effectivement ! — il n’eût pas manqué d’en faire passer le plus possible dans la loi de finances, ne serait-ce que sous la forme de la réforme de la fiscalité dans le sens, sinon de la suppression, du moins de la diminution des impôts indirects.

Or, il ne fit pas.

Mais, sentant à quel point il était devenu vulnérable de ce fait, il éprouva le besoin de faire une déclaration qui se résume, en substance, à ceci : à la mi-janvier, tous les problèmes litigieux ayant été résolus à la satisfaction générale (?) sur le plan extérieur, j’abandonnerai le ministère des Affaires étrangères pour me consacrer exclusivement à la réalisation de mon programme économique et social que j’ai dû différer en raison de l’obligation dans laquelle je me suis trouvé d’accorder la priorité aux problèmes diplomatiques.

Moralité : demain, on rasera gratis.

Et c’est là que git le malentendu qu’il n’est plus possible de dissimuler entre l’opinion populaire et M. Mendès-France.

L’opinion populaire n’avait pas bien compris.

Si on tient compte que la plupart de ses leaders accrédités n’avaient pas compris, eux non plus, il faut reconnaître qu’elle est très excusable.

Fort heureusement, le 15 janvier est arrivé, M. Mendès-France a pu se « consacrer exclusivement à la réalisation de son programme économique et social » et le malentendu a été dissipé : son premier travail a été de proposer à l’Assemblée nationale… le retour au scrutin d’arrondissement !

Voilà qui mettra du beurre dans les épinards ! Et qui résoudra, n’est-ce-pas, tous les problèmes économiques et sociaux.

Sinon à l’échelle du peuple, du moins à celle de quelques laissés pour compte du suffrage universel.

Il ne suffisait que d’y penser.

Maintenant, tout le monde a compris.

Ce Mendès-France, tout de même, quel type !

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RÉPONSE DE FONTAINE A RASSINIER

 

Arrivons tout de suite aux faits. J’ai essayé de montrer, probablement très mal — je le confesse humblement devant mon contradicteur — que le libre échange entre individus, entre groupes d’individus, entre peuples est toujours avantageux dans l’ensemble de leur économie, même s’il est pratiqué d’une manière unilatérale. Comme j’aurais pu essayer de montrer que la liberté est, en fin de compte, favorable à l’homme, même sans réciprocité — la liberté n’utilisant jamais la tyrannie même pour se défendre de celle-ci. Loyalement, même si je n’avais pas été très clair, c’est bien cela qu’il fallait entendre. Si ma thèse était fausse, il fallait le prouver, soit en montrant la supériorité du dirigisme ou du totalitarisme, ou d’une économie non échangiste. Dans ce dernier cas, il est bien évident que s’il n’y a pas d’échanges, la question de la liberté des échanges ne se pose pas. Or, Rassinier ne fait pas cela, il ne discute pas au fond ; il s’en prend à certains de mes arguments. Ce ne sera donc pas ma faute si parfois mon argumentation et ma réponse s’éloignent du sujet.

Dans le cas de l’Angleterre, voici ce qui me parait, en toute objectivité, être la vérité. Quand cette nation a aboli les « Lois céréales » au cours du dernier siècle, elle n’avait en vue que le libre-échange des grains et des matières premières. Pour le reste, c’est-à-dire sa production industrielle, elle n’avait pas à se protéger, puisque pratiquement elle était seule sur le marché. Cela explique bien qu’au début, elle pratiquait le libre-échange unilatéral, intégral. Il est parfaitement exact, à ma connaissance du moins, que peu à peu elle est revenue au protectionnisme, entraînant avec elle tous les autres peuples. Elle a cru en agissant ainsi qu’elle défendait ses marchés, son hégémonie. En quoi elle se trompait, comme elle se trompe aujourd’hui, comme se trompent toutes les nations qui s’entourent de barrières, rendant presque impossibles leurs échanges extérieurs. C’est précisément parce qu’elle n’était pas ou n’était plus échangiste qu’elle a décliné et perdu sa maîtrise. Il y aurait eu lieu, certes, d’ajouter à cette cause de décadence — le libre-échange n’est pas tout — le mal qui ronge toutes les économies capitalistes et qui les condamne, si elles ne se réforment pas, à sombrer dans le chaos. Mais ça c’est une autre histoire que mon propos n’envisageait pas mais qui laisse intact mon point de vue condamnant le protectionnisme.

Son affirmation que la France est sous la dépendance de l’Amérique en raison de sa balance commerciale déficitaire est une hérésie économique. Peut-être croit-il, comme tant d’autres, que l’excédent des importations constitue une note à payer, une dette. Ça pourrait se soutenir pour un État totalitaire qui seul vend et achète, exporte et importe. Mais même là est-ce bien de dettes qu’il s’agit ? Un commerçant qui dans une période donnée achète plus qu’il ne vend s’endette-t-il, ou perd-il son indépendance ? Un individu, un Etat n’achète plus qu’il ne vend que dans la mesure où on lui accorde du crédit. Acheteurs et vendeurs savent bien ce qu’ils font et se trouvent dans une dépendance réciproque qui n’a aucunement le sens que lui donne Rassinier. Au surplus, l’histoire, et surtout la plus récente, montre que les débiteurs sont souvent plus forts que les créanciers. La Russie d’autrefois qui nous devait près de deux mille milliards de francs (valeur actuelle) était-elle sous la dépendance de la France ? Faisions-nous la loi aux canailles de Moscou ? (Jaurès dixit). N’était-ce pas plutôt le contraire ? A mon avis un débiteur est en aussi bonne posture qu’un créancier pour résoudre un conflit économique à son avantage. Qu’une nation soit débitrice ou créditrice, pour utiliser les termes en usage, ça n’a pas d’importance quant à sa force réelle et son influence dans le monde. Sa puissance dépend d’autres facteurs, par exemple du nombre de ses habitants (au sens absolu du terme), de sa superficie habitable, du chiffre de ses affaires (export + import compris), de sa force militaire, de sa capacité de production, de l’intelligence de ses habitants, du bien-être de sa population, de son attachement à la liberté, aux droits de l’homme, etc.

Toutes ces vérités crèvent les yeux aujourd’hui. Il n’y a qu’à voir nos conflits entre locataires débiteurs et propriétaires d’immeubles (anciens vautours, entre fermiers et propriétaires fonciers, entre épargnants et petits porteurs créanciers volés, dépouillés par l’État et les grandes entreprises débiteurs. Et l’exemple des nations vaincues, comme l’Allemagne débitrice intégrale reprenant rang parmi les grandes puissances mondiales !

Alors, à quoi rime cette affirmation que les « Américains commandent chez nous, qu’ils y sont installés à demeure », comme dans une colonie, parce que notre balance commerciale est en déficit, ce qui ne signifie absolument rien quant à la solidité réelle de notre économie. Et quand cette absurdité existerait, ne vaudrait-il pas mieux pour notre pays d’être administré par des Américains que par la bande de phénomènes venus on ne sait d’où qui ont en mains nos destinées ? Les Français auront beau se dresser sur leurs ergots, battre des ailes, hurler mort aux Boches ! mort aux Américains ! ils n’empêcheront pas les petites planètes de tourner autour des grandes, ni notre pays de graviter dans le système atlantique grâce à notre chance d’être loin de Moscou, et plus tard d’être intégré dans l’Internationale entrevue par nos grands ancêtres.

Passons maintenant aux affirmations de Paul Rassinier concernant la balance des échanges paysans. Il écrit : ” Le viticulteur riche ne tient pas en son pouvoir le viticulteur pauvre… Il est lui-même sous la dépendance de son bailleur de fonds qui peut le ruiner du jour au lendemain en lui coupant les vivres. ” Autant d’affirmations, autant d’erreurs. Le petit cultivateur est entièrement quant à son économie sous la coupe du gros. Pour beaucoup de raisons dont voici les principales : les crédits lui sont strictement mesurés parce que trop faiblement garantis ; on ne prête qu’aux riches et les gros sont riches ; lorsqu’il veut acheter une parcelle de vigne, un pré, son gros voisin passe avant lui parce qu’il en offre plus cher ; ce n’est pas lui qui fixe le prix de sa récolte et sauf les bonnes années son prix de vente ne lui permet pas de vivre normalement. Son puissant voisin s’en tire toujours, même avec des prix plus bas. Toutes les petites exploitations agricoles sont des entreprises marginales appelées à disparaître sous leurs formes actuelles. Elles seront dévorées par les grosses. Savoir si c’est un bien ou un mal, ça, c’est aussi une autre histoire.

Quant aux gros propriétaires, ils obtiennent facilement tous les crédits désirés (voir budget de l’agriculture), même ceux qui ne leur sont pas nécessaires. La preuve c’est que certains sont débiteurs, à la caisse du crédit agricole et souscripteurs, par exemple, aux certificats d’investissement. Ils payent 1 ou 2 % d’intérêt comme débiteurs et touchent 5 à 6 % comme créanciers à la même caisse. Et ce n’est pas leur bailleurs de fonds qui peuvent leur couper les vivres. C’est plutôt le contraire qui est vrai. Le monde agricole, organisé comme il est, est en mesure, s’il lui en prenait fantaisie, de mettre le Trésor en mauvaise posture, en exigeant le remboursement de ses dépôts.

Beaucoup d’autres choses seraient à relever dans la réponse de Rassinier qui montrent que ses vérités ne sont pas très solides. Je me contenterai en guise de conclusion de lui faire remarquer que le phénomène échange a existé de tout temps et qu’il existera d’une façon ou d’une autre tant que les hommes vivront en société et qu’ils auront des rapports entre eux. La vie sans l’échange est impensable aussi bien chez l’homme que dans le monde animal ou végétal. Par conséquent, avancer que l’échange est d’inspiration capitaliste, c’est encore une erreur. A ce compte-là autant dire que produire, distribuer, consommer, c’est-à-dire vivre, est d’essence capitaliste. On va loin en raisonnant ainsi.

En ce moment, on fait grand cas des distributions ” gratuites ” créées par notre nouveau sauveur Mendès-France. Certains y voient l’amorce d’une économie sans échange. Voire ! Des revues, des journaux, des témoins nous apprennent déjà que ces distributions s’avèrent très compliquées et très coûteuses et qu’elles sont l’occasion d’échanges clandestins où les victimes sont encore ceux qu’on prétend soulager !

Comme il serait plus simple de porter les retraites des vieux travailleurs ainsi que les allocations aux E.F. à un taux décent, comme le propose J. Duboin dans la ” Grande Relève “, à 20.000 francs mensuels. Les vieux achèteraient, comme vous, comme moi, comme tout le monde, ce qui leur est nécessaire dans un magasin de leur choix et leur dignité serait sauve.

Ce qui arrive à ce sujet était facile à prévoir et devrait faire réfléchir les bâtisseurs de systèmes où l’échange serait supprimé et la monnaie détournée de son rôle d’agent d’échange. L’échange en soi, la monnaie en soi ne sont nullement responsables des maux dont souffre l’humanité.

Un jour viendra, j’y crois, je le crois même très proche, où des revenus suffisants, grâce aux progrès de la technique, seront assurés à tous. Alors le travail sera libre et volontaire. L’exploitation de l’homme par l’homme ne sera plus possible. Pourquoi vouloir alors supprimer les échanges et l’argent qui les facilitent. Ce serait absurde au plus haut point. C’est pour toutes ces raisons que je reste attaché à la liberté de produire, d’échanger et de consommer. Vive l’économie libre !

J.Fontaine

NOTE DE LA REDACTION. — Nous croyons savoir, c’est le camarade Fontaine qui nous l’apprend, que l’ami Rassinier répondra le mois prochain. Nous voulons croire que cette controverse non seulement n’aura nui en rien aux bons rapports existants entre nos deux collaborateurs mais qu’au surplus elle aura été profitable à de nombreux lecteurs.

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LE MENSONGE D’ULYSSE

Dans notre dernier numéro, nous avons annoncé que la Cour de Cassation avait cassé le jugement de la Cour d’Appel de Lyon condamnant l’auteur à de lourdes peines et frappant l’ouvrage d’interdit. Nous ne nous attarderons pas sur les considérants de l’arrêt de la Cour de Cassation. Il nous parait cependant nécessaire de souligner qu’elle a déclaré deux choses :

1° Que le Mensonge d’Ulysse n’était pas un livre diffamatoire ;

2° Que, n’étant même pas nommés dans ce livre, ceux qui en avait obtenu la condamnation, n’avaient aucune qualification pour se constituer partie civile.

Cet arrêt est intervenu alors que, las d’attendre de la Cour de Cassation qui ne venait pas, Paul Rassinier avait décidé, au risque de se placer dans le cas de récidive, de rééditer lui-même son livre et que, l’ayant donné à la composition, il en corrigeait déjà les épreuves.

Maintenant, le livre est sorti.

Nous donnons ci-dessous quelques-uns des passages qui avaient décidé les profiteurs du « Système » à le poursuivre.

On peut se le procurer chez P.-V Berthier (librairie du Message, Bd Poissonnière), Maurice Joyeux (53bis, rue Lamarck), Vernier et Cie (41, rue Madame), dans toutes les librairies ou, franco, contre 900 fr. adressés à Mme J. Rassinier-Pons, 45 rue de Lyon à Mâcon, C.C.P. Lyon 3046-71, si on veut une dédicace. — LA REDACTION

[suivent des extraits du Mensonge d’Ulysse]

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BRAVO !

Sous la plume de Gilbert Desachy, nous lisons dans l’École Émancipée, organe de la minorité révolutionnaire du Syndicat national des instituteurs :

 « L’expérience Mendès-France est un essai de replâtrage du système capitaliste. Elle a été précédée du pool charbon-acier. Demain seront appliqués les Accords de Londres et de Paris. On parle de reconversion. Dans presque tous ces domaines le syndicalisme français adopte des formules conservatrices. On défend le maintient du cadre national pour l’armée, les commandes d’armements, etc. On défend les cheminots et par là-même le maintient des petites déficitaires. On ne veut pas voir réaliser les réformes de structure qui, diminuant les prix de revient, accroîtraient le standard de vie des travailleurs. Prenons un exemple : le Métro sans tickets, gratuit, ne coûterait guère plus à la Ville de Paris que le Métro actuel. Mais il faudrait renvoyer de très nombreux travailleurs. Où les reclasser ? où leur trouver un emploi équivalent ? Finalement on « maintient », on n’avance plus et on finit nécessairement par reculer.
« Pendant ce temps les technocrates, eux, accroissent leur emprise, préparent les réformes de structure qui se faisant malgré et contre la volonté des organisations syndicales briment et lèsent les travailleurs. D’où manifestations contre la suppression de lignes secondaires, d’usines au matériel désuet, etc. Le syndicalisme essaie d’empêcher une évolution INÉVITABLE. »

 C’est tout à fait notre avis.

Pauvre syndicalisme !

Poursuivant son raisonnement sur le plan constructif, Gilbert Desachy ajoute :

« C’est là que nous devrions remplir notre rôle. Notre voix devrait se faire entendre. Trente heures de travail par semaine, un mois de congé payé, des salaires revalorisés, des retraites décentes pour tous, une véritable sécurité sociale. Voilà les mots d’ordre syndicalistes qui permettraient de réaliser au moindre mal dans le monde capitaliste l’évolution technique nécessaire.

 « De telles revendications mobilisatrices de toutes les énergies, simples, applicables à tous sont révolutionnaires. Elles changeraient complètement l’orientation de l’action syndicale actuelle axée sur les primes, sur l’aggravation de la hiérarchie, sur la défense des intérêts de catégories. »

Si, à ce programme, effectivement clair et d’un réel dynamisme, Gilbert Desachy voulait ajouter la réforme de l’appareil de distribution et la suppression des impôts indirects (pour commencer) nous serions d’accord. — P.R.

Défense de l’Homme, numéro 75, janvier 1955.

— Le malentendu, p. 13-14.

—  Réponse de J. Fontaine, p. 25-27.

—  Le Mensonge…, p. 35.

— Bravo!, p. 40.

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Défense de l’Homme, numéro 76, février 1955,

La revanche de Rotschild, p. 3-6

A PROPOS DU LIBRE-ECHANGISME, p. 37-40

La revanche de Rothschild

 

Les hypothèses les plus diverses et les plus contradictoires, des plus ingénument hasardées aux plus outrancièrement fantaisistes, ont été échafaudées durant tout le mois de février, à partir de la chute du gouvernement de M. Mendès-France et de ses causes. A ma connaissance, toutes ces hypothèses, dans quelque sens que ce soit, ne se sont, que par exception, élevées au-dessus des contingences parlementaires et du banal problème de la majorité. Or — et c’est, depuis fort longtemps, le premier gouvernement auquel pareille aventure arrive — ce n’est pas au Parlement que M. Mendès-France est tombé, mais dans la rue.

Dans une série d’articles dont je me rends bien compte que, traitant toujours du même sujet, le lecteur puisse, à la longue, commencer à les trouver monotones, voire fastidieux, je me suis efforcé de montrer que M. Mendès-France avait été porté au pouvoir, en quelque sorte par effraction et par deux forces convergentes quoique très dissemblables par leur nature et les buts qu’elles poursuivaient :

1° Un groupe de banques dont l’influence n’avait cessé de croître au Parlement depuis la fin de la guerre et dont la poursuite des opérations en Indochine compromettait les intérêts ;

2° L’opinion publique, longtemps indifférente, mais enfin réveillée par huit années d’une guerre désastreuse dont elle se mit soudain à vouloir la fin à n’importe quel prix, réclamant, par surcroît, la réforme de notre structure économique et sociale dans le sens même que M. Mendès-France lui avait indiqué lorsqu’il était dans l’opposition.

Tant que ces deux forces — chacune à sa façon, d’ailleurs — jouèrent en sa faveur, l’homme fut maintenu au pouvoir contre la volonté d’un Parlement qui lui fut toujours hostile, même lorsqu’il lui accordait des majorités substantielles : on imagine mal, par exemple, qu’en plein mois de juillet, lorsqu’il discutait à Genève de la Paix en Indochine, une majorité eût pu se constituer contre lui et le renverser.

L’envie n’en manquait cependant point à beaucoup plus de la moitié des députés qui l’eussent volontiers fait s’ils eussent osé prendre cette responsabilité devant leurs électeurs, lesquels étaient, dans leur ensemble, pour M. Mendès-France et ne le cachaient point.

Longtemps, il en fut ainsi.

Puis les choses ont changé.

Les banquiers, satisfaits par le retour de la Paix en Indochine, l’ont lâché les premiers, des dissentiments étant survenus entre eux sur la suite à donner.

Pour les reconquérir, M. Mendès-France a inventé les accords de Londres et de Paris, puis les atermoiements an matière économique et sociale, puis une politique calculée en Afrique du Nord, puis les petits artifices parlementaires d’extension ou de consolidation de sa majorité.

Il n’y est pas arrivé.

Mais, ce faisant, il a perdu l’appui de l’opinion publique.

Et, le sentant seul, soutenu seulement par un Parti socialiste divisé contre lui-même et sans influence sur l’opinion, les députés l’ont assassiné  — c’est le mot — comme au coin d’un bois.

Un petit retour en arrière explique mieux comment les choses se sont passées dans le détail.

De la défaite à la victoire des Rothschild

Dans un précédent article (cf. n° 74), reproduit par l’École émancipée, une dizaine de bulletins départementaux du Syndicat national des Instituteurs, et Le petit Crapouillot, j’avais indiqué que le Parlement était un champ clos où s’affrontent les représentants des conseils d’administrations des principaux groupes bancaires suivants :

1. L’Union des banques américaines, dont l’agent financier pour la France et l’Europe occidentale est M. Jean Monnet, l’agent politique étant M. René Pleven, qui débuta dans la carrière comme secrétaire de M. Jean Monnet ;

2. L’Union — européenne, celle-ci — des banques Rothschild, dont l’homme politique est M. René Mayer, qui fut administrateur quelque part dans la Maison ;

3. Une petite banque — les Gradis — dont, jusqu’à ces temps derniers, le rayonnement ne dépassait guère les frontières nationales. Les Gradis n’avaient à leur service que des journalistes, les Servan-Schreiber, eux-mêmes financiers et propriétaires de l’Express, l’un d’entre eux étant lié à la famille. Depuis la fin de cette guerre, ils se sont renforcés par un traité d’alliance passé avec les Lazard dont M. Petsche était l’homme politique, Mme Petsche, actuellement Jacquenot, étant une Lazard.

J’ajoutais :

« La politique américaine d’expansion économique postule que l’Union des banques américaines doit absorber les banques européennes (Rothschild) dont les intérêts se heurtent à ceux des banques presqu’exclusivement françaises (Gradis, Lazard, Servan-Schreiber) en Extrème-Orient et en Afrique du Nord. Et toute la politique française de cette après-guerre est l’histoire du combat que ces banques se livrent dans l’hémicycle parlementaire par les personnes interposées de leurs agents politiques respectifs : MM. René Pleven, René Mayer et Pierre Mendès-France. »

Et, pour expliquer l’accession de M. Mendès-France à la présidence du Conseil :

«  En Indochine, les intérêts des Rothschild, situés principalement dans le Nord — à ce qu’il ressort de la lecture des journaux financiers — exigeaient la poursuite de la guerre jusqu’à la défaite totale de Ho Chi Minh. Les Gradis- Lazard — Servan-Schreiber, dont les intérêts étaient situés principalement dans le Sud, et pour lesquels les Cogny, Ely, de Castries, etc…, n’étaient que des tocards, jugeaient plus prudent de traiter. Et c’est ainsi que M. Pierre Mendès-France fut porté à la Présidence du Conseil par l’appoint des voix que lui apporta M. Jacquinot, mari de Mme ex-Petsche, née Lazard. On sait la suite : pour tirer leur épingle du jeu, Gradis-Lazard and Co ont donné à Ho Chi Minh ce qui “appartenait” aux Rothschild. »

On m’excusera de me citer moi-même et de le faire aussi amplement, mais cette explication du triomphe est aussi celle de la défaite : les voix qui ont manqué à M. Mendès-France dans le scrutin du 4 février sont celles de M. Jacquinot, époux Lazard, acquis, en ce qui concerne le Sud de l’Indochine, à la manière de voir de Rotschild exprimée à la tribune de l’Assemblée Nationale par M. René Mayer à propos des problèmes de l’Afrique du Nord. Lui ont également fait défaut les voix de quelques députés dévoués à M. Borgeaud, sénateur d’Alger, leader des colons, qui est un membre influent du Parti radical et, par les nombreuses affaires industrielles et commerciales à la tête desquelles il se trouve, client de Rothschild.

Le comportement des Lazard

Dès le lendemain de la convention d’armistice qui ramenait la paix en coupant l’Indochine en deux, Ho Chi Minh prit solidement en main le Nord. Le Sud, lui, était livré à Bao Daï qui ne réussit jamais à y mettre au pouvoir un gouvernement digne de ce nom. Au désordre qui résultait de cette incapacité vint s’en ajouter un autre provoqué par les sectes plus ou moins papistes qui s’y réfugièrent après l’armistice, sur ordre venu de Rome et, la menace de sécession dans le Sud se trouva tout naturellement portée à l’ordre du jour à Paris.

Les intérêts des Lazard, des Gradis et des Servan-Schreiber furent à nouveau compromis et aussi dangereusement que l’avaient été ceux des Rothschild par l’Armistice alors qu’il n’était qu’éventuel.

Les Gradis et les Servan-Screiber, qui nourrissent de vastes espoirs d’échanges avec la Chine de Mao Tse Tung, restèrent fidèles à leur politique de la souplesse. Mais les Lazard, que les pertes subies par Rothschild avaient amené à réfléchir, refusèrent de les suivre dans cette voie et passèrent dans le clan de la fermeté, dont le leader parlementaire est M. René Mayer, soutenu dans la coulisse par M. René Pleven, agent politique des banques américaines.

Ce n’est pas plus compliqué que cela.

Que ce changement de camp ait été rendu publique à l’occasion du débat sur l’Afrique du Nord, on le comprendra aisément si on se souvient que M. René Mayer, qui mena la danse, est député de Constantine, et, en quelque sorte, délégué sur place par Rothschild qui y commandite à peu près tout et qui, par ses commandites, y tient en mains à peu près tous les parlementaires de la même façon qu’il tient M. Borgeaud.

Que vouliez-vous qu’il fît ?

M. Mendès-France a vu venir le coup : c’est une fine mouche.

Il avait un maître atout : le programme économique et social qui fit sa popularité. Abandonné par les banques, il pouvait, sinon par conviction, du moins par tactique, se rabattre sur le peuple. Il lui était, par exemple, loisible, à lui qui, si souvent, évoqua 1789, de parodier Mirabeau : « Je suis ici par la volonté du peuple, etc. »

A la veille des accords de Paris, malgré qu’il eût déjà donné des dignes trop évidents de sa volonté d’atermoyer, c’était encore vrai.

Il eût mené le Parlement à la cravache en le menaçant de la colère du peuple qui lui fût resté acquis.

Il ne le fit pas.

Il ne l’osa ou ne le voulut point.

A l’appui du peuple, il préféra celui des banques et, dès lors, il était condamné à rechercher la consolidation d’une majorité sans cesse à refaire par les mille petits artifices qui font de notre tradition parlementaire le plus joyeux numéro de cirque de tous les temps.

Parce que Rothschild, fort de l’appui qui lui revenait soudain des Lazard, ne voulait pas perdre l’Afrique du Nord comme il perdit le Nord de l’Indochine et croyait la pouvoir sauver par une politique de fermeté, c’est-à-dire de répression à outrance du mouvement d’émancipation qui secoue toutes nos colonies.

Et parce que, dans ce problème qui est une question de dividendes, M. Mendès-France, ayant perdu les Lazard, c’est-à-dire son moyen de pression, ne pouvait plus le faire revenir sur cette manière de voir.

A la vérité, il l’essaya et faillit réussir grâce à l’entremise des Rothschild de Londres lesquels, à l’instar des Servan-Schreiber et des Gradis, pensaient pouvoir reconquérir le marché chinois qui eût largement compensé les pertes, en continuant dans la voie de la conciliation avec l’Est.

Mais, à l’expérience, il s’avéra que, Moscou durcissant sa position, ce qui se traduisit par les événements des îles Quemoy et Tachen, tandis que les Américains durcissaient la leur à propos de Formose, il n’y avait pas grand chose à espérer de ce côté avant longtemps.

Obligé d’en convenir, M. Mendès-France leur fit deux autres concessions : les accords de Manille et, en Afrique du Nord, une politique de répression qui, dans son esprit, était juste assez sévère pour leur redonner confiance et point assez pour qu’il s’attirât l’hostilité des éléments favorables à une politique démocratique à l’égard des populations indigènes.

Peine perdue : Rothschild, toujours fort de l’appui des Lazard, refusa dédaigneusement cette demi-mesure et M. René Mayer ne l’envoya pas dire au Président du Conseil.

Il ne restait plus que les artifices qui furent, de la part de M. Mendès-France, autant de misérables trahisons de soi-même : les remaniements ministériels au nombre de cinq (comme un vulgaire Laniel !) qui portèrent le nombre des ministres de 19 à 37 (Passe-moi la tasse…) ; la mutation aux affaires étrangères de M. Edgar Faure, qui joue le double jeu entre les banques Rothschild et les banques américaines pour leur redonner confiance ; la nomination de M. Pierre de Gaulle au commissariat de l’Exposition internationale de 1957 (400.000 fr. par mois plus une armée d’employés grassement payés !) et de M. Soustelle comme gouverneur général de l’Algérie, pour obtenir, avec son soutien actif, la rentrée de la banque Worms (de la Synarchie !) acquise à de Gaulle ; le retour au scrutin d’arrondissement pour relancer Rothschild — M. Mendès-France se croyait au poker ! — au groupe parlementaire du parti radical ; l’extension de la loi Barrangé à l’enseignement libre dans l’agriculture sinon pour fléchir le M.R.P., du moins pour le diviser ; et la plus humiliante, la plus basse, la plus méprisable de toutes les manœuvres, la palinodie des palinodies, la capitulation des capitulations, la visite qu’il fit au Pape flanqué de sa femme et… de Georges-Boris, ancien directeur de La Lumière, pour obtenir son intervention auprès du M.R.P. dans le sens d’une réconciliation. M. Mendès-France ne s’est fait ni bénir, ni baptiser mais, ma parole, c’est tout juste et c’est tout comme.

Tout au long de ce long combat — car, et c’est là le pire, ce fut un combat ! — pas un instant, il ne fut question de ce programme économique et social qui était aussi beau que la République sous l’Empire et la seule chose qui le pouvait sauver.

C’est ainsi que, tous ces artifices à la mesure des milieux parlementaires indisposant encore le peuple qui n’avait rien à en attendre, M. Mendès-France perdit sa confiance sans regagner celle des banques.

Et que le tandem Rothschild-Lazard hésita d’autant moins à le mettre en minorité au Parlement que M. Mendès-France avait bien et assez complètement perdu la tête pour lui donner, sous les espèces de la réforme constitutionnelle et de la modification de la majorité d’investiture, la possibilité de le renverser à la fois sans risque de dissolution et avec toutes les facilités de le remplacer aisément.

Si le lecteur pense maintenant que j’ai consacré un peu trop d’articles à l’expérience Mendès-France et de trop longs, je lui demande de m’accorder le bénéfice de la bonne intention : j’ai voulu lui montrer qu’il n’y avait pas grand chose à attendre d’un pouvoir qui me semble, depuis la fin de la dernière guerre, avoir singulièrement redoré son blason aux yeux du mouvement ouvrier.

Qui que ce soit qui l’occupe.

Et fût-il — comme on eût, à mon sens, tort de le croire en ce qui concerne M. Mendès-France — des mieux intentionnés.

Le pouvoir entièrement entre les mains des banques reste le pouvoir dans les termes mêmes où il fut défini par Alain : les plus rusés le mettent au service de leurs intérêts personnels et il pervertit les mieux intentionnés, — si tant est qu’il y en ait !

OOOOOOOOOOOO

A PROPOS DU LIBRE-ECHANGISME

Réponse à Fontaine

par Paul Rassinier

 Dans un premier élément de réponse publié en même temps que le premier article de Fontaine sur la question, j’avais déjà écrit :

« Peut-être pourrait-on espérer que le retour au libre-échange créerait, dans toutes les nations du monde, de telles perturbations sur tous les circuits économiques, que les conditions objectives de la Révolution sociale seraient réalisées…

Mais c’est le seul argument que Fontaine n’avance pas. »

C’est dire qu’entre nous, le débat n’existait pas sur le fond, mais seulement sur la forme et, chemin faisant, sur quelques arguments qui me paraissaient douteux.

Le nouvel article de Fontaine, dans le dernier numéro, n’apportant aucun élément nouveau, ne peut rien changer à ma manière de voir et ma réponse sera forcément une confirmation de ce que j’ai déjà dit.

I. — Dans la mesure où ceci peut intéresser le lecteur, nous avons d’abord, Fontaine et moi, un problème de terminologie à mettre au point : j’ai peur que, tout au long, les termes qu’il emploie ne désignent des réalités tout autres que celles auxquelles il pense en écrivant. Exemple : « J’ai essayé de montrer, dit-il, que le libre échange entre individus, entre groupes d’individus, entre peuples est toujours avantageux, etc. » Entre les individus, il s’agit bien de libre échange mais, entre les groupes d’individus et les peuples, il s’agit de libre-échange et le trait d’union que Fontaine ignore change tout en ce sens que, contrairement à ce qu’il semble croire, les deux expressions ne désignent pas le même phénomène économique. Il en est de même de la gradation qui part des échanges entre les individus pour arriver au libre échange entre les peuples : ici, Fontaine emploie le mot « peuple » où il faut employer le mot « État » puisque, sur le plan international, les échanges ne se font pas ou plus d’individus à individus ni de peuple à peuple, mais d’État à État.

Fontaine me permettra de lui dire que cette façon de parler qui permet les déductions cavalières, relèverait de l’illusionnisme si elle était calculée. Et qu’il y a, entre nous, trop de liens d’amitié pour que je ne la mette pas sur le compte de l’inadvertance.

Je pourrais d’ailleurs multiplier les exemples. Je la retrouve encore dans ceci qu’il dit juste avant de conclure :

« La vie sans l’échange est impensable aussi bien chez l’homme, etc. Par conséquent, avancer que l’échange est d’inspiration capitaliste, c’est encore une erreur. »

Mais qui dit le contraire ?

Le malheur est seulement pour Fontaine que, dans ce débat il ne s’agisse pas plus d’échange que de libre échange mais d’échangisme et de libre-échange, c’est-à-dire d’échange AVEC PROFIT sur tous les plans, ce qui, on en conviendra n’est pas la même chose.

Étant en voie de promotion au rang des sciences, comme n’importe quelle autre science, l’économie politique s’est forgée un vocabulaire conventionnel et toute une terminologie qu’à moins de se résigner à ne pas comprendre, ceux qui veulent en débattre, doivent se faire une règle d’employer.

Le tort de Fontaine est donc de traiter du sujet en donnant aux mots le sens qu’ils ont sur le plan humain : c’est essayer de se faire comprendre pas des Chinois en leur parlant italien sous prétexte qu’on a aucune chance de se faire comprendre d’eux en leur parlant français.

II. — Le second problème que nous ayons à mettre au point est un problème de méthode assorti d’un procès d’intention. Voici :

« Si ma thèse était fausse, dit Fontaine, il fallait le prouver, soit en montrant la supériorité du dirigisme ou du totalitarisme ou d’une économie non échangiste. »

C’est faire preuve d’une singulière ingénuité que de croire que, parce qu’on a écrit que « le libre échange » (assez à la légère d’ailleurs, puisqu’on voulait dire le libre-échange) était avantageux ceux qui n’en étaient pas d’accord se trouvaient dans l’obligation de « prouver la supériorité du dirigisme, etc. »

Ici encore, je pourrais parler d’illusionnisme. Le libre-échange et le dirigisme sont deux activités qui ne se situent pas sur le même plan : le premier est une partie d’un tout qui s’appelle le libéralisme économique et le second est un tout. Or, il n’est pas possible de comparer une partie d’un tout avec un autre tout au surplus d’essence différente. La comparaison ne peut porter qu’entre libéralisme économique et dirigisme ou entre libre-échange et contingentement, contrôle des échanges ou encore contrôle des changes.

Sur ce point j’ai répondu par avance au fond dans l’article publié en même temps que le premier de Fontaine : « Le libre-échange est un moment de la vie des nations, le protectionnisme (première étape du dirigisme) aussi. Elles passent de l’un à l’autre selon les circonstances (cf. n° 74).

Pour la raison que ni dans le libre-échangisme, ni dans le dirigisme, le peuple n’a jamais son mot à dire, que dans les deux cas les échanges entre États se font également à ses dépens, il ne peut avoir à choisir entre l’un et l’autre qu’en fonction des possibilités révolutionnaires offertes par l’un et l’autre. Dans le régime qui sortirait d’une révolution éventuelle nous devons ambitionner un système d’échanges qui ne soit ni l’un ni l’autre et dont les principes fondamentaux couchés sur le papier pour la première fois par Proudhon, sont actuellement l’objet d’une tentative de rajeunissement pas toujours très heureuse de la part du mouvement abondanciste, après l’avoir été avec beaucoup plus de pertinence par Bakounine, James Guillaume, Kropotkine, Voline et surtout Sébastien Faure.

Or, aussi bien dans son second article que dans son premier, c’est le seul aspect de la question que fontaine n’aborde pas malgré l’invitation très explicite que constituait ma première réponse.

Et c’est le seul qui puisse présenter un intérêt pour la classe ouvrière.

Je suppose que Fontaine me dispensera de lui exposer la théorie du Fédéralisme proudhonien, de la décentralisation qui y conduit par la suppression de l’État et d’une économie distributive qui bannirait la notion de profit en termes beaucoup plus catégoriques encore que Jacques Duboin.

III. — Il y a, dans le raisonnement de Fontaine, des erreurs dont je ne lui demanderai pas de faire l’aveu. Par exemple le retour de l’Angleterre au protectionnisme qui serait à l’origine de la perte de son hégémonie sur les marchés mondiaux. Personnellement, je pense que le libre-échangisme qui a fait la fortune de l’Angleterre jusqu’au milieu du XIXe siècle a été abandonné par elle au moment où elle s’est aperçue qu’à continuer, elle eût livré tous ses marchés à ses concurrents mieux placés qu’elle sous le rapport des prix, notamment à l’Allemagne sur le plan industriel et à la France à partir du moment où cette dernière a eu un empire colonial presque aussi important que le sien et une industrie aussi florissante et aussi bien placée que la sienne (première moitié du XIXe siècle). Je ne connais pas d’historiens et pas d’économistes à quelque école qu’ils appartiennent qui défendent aujourd’hui une autre thèse. Le simple bon sens d’ailleurs suffit à prouver l’évidence : pourquoi l’Angleterre aurait-elle abandonné un régime d’échanges qui avait fait sa fortune s’il avait pu continuer à la faire ? Que le remède n’ait pas enrayé le mal est certain, mais ce n’est pas une raison pour confondre les effets et les causes.

Les causes elles sont ailleurs qu’aux endroits où Fontaine les voit : dans la dislocation du Commonwealth sous l’influence des mouvements nationalistes canadiens, américains, chinois et indiens postulant l’indépendance, dans la naissance et le développement parallèle de l’industrie à l’échelle mondiale par conséquent d’une légion de concurrents aussi bien ou mieux placés, etc…, phénomènes que le libéralisme économique ne pouvait que favoriser et que le protectionnisme pouvait seulement retarder et non pas totalement enrayer. En fait c’est ce qui s’est produit et aussi bien les Rochdaliens avec Keir Hardie que les Fabiens avec S. et B. Webb, B. Shaw et H.G. Wells, l’avaient prédit voici trois quarts de siècle déjà. C’était d’ailleurs un des rares points sur lesquels il n’y avait aucun dissentiment entre les marxistes et les autres tendances du Socialisme, au temps de la première Internationale.

Parce qu’en ce domaine, à cette époque, on avait, dans le mouvement ouvrier, la sagesse de penser que ce n’était pas un problème de libéralisme économique ni de dirigisme à drapeau protectionniste, mais de refonte complète des structures économiques et sociales et par voie de conséquence, politiques.

Je ne dirai rien non plus de la conception que Fontaine a de la puissance d’une nation.

« La puissance d’une nation, écrit-il dépend du nombre de ses habitants (au sens absolu du terme), de sa superficie habitable, du chiffre de ses affaires (export+import compris), de sa force militaire, de sa capacité de production, de l’intelligence de ses habitants, de son attachement à la liberté, aux droits de l’homme, etc. »

Il s’agit là de choses qui ont besoin d’être explicitées pour avoir un sens et que n’importe qui peut écrire sous cette forme et dans les mêmes termes, à quelque parti qu’il appartienne, fût-il Pinay !

Je retiens toutefois que, dans ce texte, Fontaine fait état de la puissance militaire comme élément de la puissance d’une nation : je suis,  moi, de ceux qui pensent qu’une nation s’affaiblit, ainsi que Hitler l’a amplement et définitivement prouvé, dans la mesure où elle cherche à être forte sur le plan militaire.

Et je pense à la Suisse qui est une des nations les plus déséquilibrées du monde sur le chapitre des éléments que Fontaine fait entrer dans la définition de la puissance d’une nation et qui a le mieux surmonté toutes les catastrophes nationales auxquelles la plupart des autres ont succombé.

Par manière de parler seulement et pour la beauté du coup : parce que, ce qui m’intéresse dans une nation prise dans son acception actuelle, ce n’est pas sa puissance, mais sa faiblesse, c’est-à-dire la puissance du peuple dans son sein et les possibilités révolutionnaires qui lui seraient ainsi offertes.

IV. — Je veux bien que le fait de recevoir des subsides de l’Amérique ne place pas la France dans sa dépendance politique. Mais alors, Fontaine devra expliquer pourquoi l’Assemblée Nationale et le gouvernement ne prennent aucune décision qui pourrait entraîner la suppression des subsides. Par exemple, la France aurait besoin de commercer avec la Chine : Eisenhower a prévenu que, dans ce cas, elle n’aurait plus a compter sur l’aide Marshall. Alors la France — quand je dis la France… — s’est inclinée. Pour la même raison, si le a rejeté la C.E.D. il a voté les accords de Paris qui n’en diffèrent que dans la mesure qui convient pour ne point entraîner la suppression de l’Aide Marshall : personne n’a oublié ni les rendez-vous de Londres, ni le voyage de Mendès aux Etats-Unis…

Fontaine peut m’en croire, cette dépendance là est beaucoup plus effective que celle du petit propriétaire vis-à-vis du grand. Nous savons, certes, que tous les petits propriétaires dépendent des gros qui les tiennent à merci par l’intermédiaire du pouvoir dans la mesure où ils ont partie liée avec lui. Mais, si tous les grands propriétaires ensemble, tiennent à merci l’ensemble des petits, aucun grand propriétaire ne tient en sa dépendance directe, nommément et individuellement, aucun petit s’il n’y a entre eux des rapports contractuels. Tandis qu’ici, sans aucun rapport contractuel (avoué, du moins), la bourgeoisie américaine tient à sa merci toutes les classes sociales de la France par la raison que si la bourgeoisie française ne passe pas par où elle veut, elle lui supprimera les subsides sans lesquels elle perdrait automatiquement le pouvoir dans un chaos économique sans nom.

L’aide Marshall est donc une aide de la bourgeoisie américaine à la bourgeoisie française contre son prolétariat.

Dans cette affaire, le pire est que la classe ouvrière française est asservie par deux classes bourgeoises superposées, l’une étrangère, l’autre indigène dont les méfaits additionnés retombent sur ses pauvres épaules.

Qu’il en est ainsi dans tous les pays bénéficiant de l’aide Marshall.

Que le même phénomène se produit chez les satellites de la Russie où les classes ouvrières sont asservies par deux bureaucraties superposées.

Et que Fontaine — et pas seulement Fontaine ! — ne le voir pas.

V. — Pour être complet, il faut maintenant essayer de se représenter ce que signifie exactement le retour à ce libre-échange si « avantageux » pour tous les pays « dans l’ensemble de leur économie ».

Au premier stade, tous les pays du monde sont éliminés de tous les marchés par les États-Unis dont, depuis les réarmement allemands et japonais, les produits sont ou seront à brève échéance, les moins chers du monde.

C’est la raison pour laquelle les États-Unis sont les seuls à prôner la libre entreprise, le libéralisme économique et donc le libre-échange.

Tous les autres États ou plutôt, dans tous les autres États — attention : Russie comprise ! — toutes les classes dirigeantes sont pour le protectionnisme afin de préserver leurs marchés de l’envahissement des produits américains.

Le retour au libre-échange conformément au vœu de la bourgeoisie américaine (en passant : là sont rassemblés tous les sujets d’antagonisme dans le clan atlantique) signifie donc l’effondrement de toutes les économies du monde à l’exception de l’américaine.

Faut-il le souhaiter ?

Faut-il le redouter ?

J’ai déjà dit que les conditions objectives de la Révolution sociale en seraient réalisées et que pour répondre à la question, il faudrait savoir dans quel sens irait cette révolution et qui en profiterait.

Très franchement, je suis absolument incapable de me représenter le développement de la situation à partir d’un événement aussi brutal, par conséquent de répondre d’une façon plus précise : jouer les devins n’est pas mon genre.

Si je tiens compte de l’état de délabrement dans lequel agonise un mouvement ouvrier international sans autre idéologie que l’augmentation des salaires et sans militants, j’avouerai même que j’incline à en avoir plus peur qu’envie.

Mais, pour ce qui est de penser que le monde marcherait mieux avec la liberté des échanges qu’avec leur contrôle, c’est une joyeuse fantaisie : l’Amérique, marcherait mieux, et encore, l’histoire ne prévoit-elle pas pour combien de temps…

VI. — Je terminerai sur un regret… Écrire comme le fait Fontaine que « l’argent facilite les échanges », et que, pour cette raison il ne faut pas le supprimer remet en cause tout le Socialisme et tout le Syndicalisme dans le sens où on l’entend quand on se dit libertaire et révolutionnaire. Personnellement, je suis de ceux qui pensent que l’argent embrouille les échanges, les fausse et permet à ceux qui l’ont inventé de dissimuler le profit qu’ils en retirent. En vain je cherche dans ma mémoire parmi les doctrinaires du Socialisme (je ne parle pas des politiciens) même les plus modérés celui qui n’a pas réclamé sa suppression, sinon dans l’immédiat, du moins à échéance, pour la seule raison que c’est la seule façon d’assainir les échanges, de les moraliser, et de promouvoir la suppression du salariat. Si Fontaine veut repenser le Socialisme doctrinal à partir de là, je lui souhaite bonne chance.

Mais je le préviens qu’Adam Smith était déjà en avance sur lui.

Et que, depuis Adam Smith, beaucoup d’eau a passé sous les ponts !

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RENTRÉE EN SCÈNE DE LA BANQUE WORMS ET DE LA SYNARCHIE?

par Paul Rassinier

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Défense de l’Homme, numéro 77, mars 1955, p. 2-6.

Il faut laisser aux petits cloportes des grandes rédactions parisiennes qui, dans le célèbre salon des Quatre Colonnes, gagnent péniblement leur pain en s’accrochant aux basques des politiciens les plus en vue ou en passant la brosse à reluire sur leurs bottes, le soin d’expliquer l’échec de Christian Pineau et la réussite d’Edgar Faure par la querelle Lamine Gueye — Léopold Senghor et la position prise dans le débat par le groupe des députés indépendants d’Outre-mer: en politique comme ailleurs, il y a encore de beaux jours pour le roman chez la portière!

Que les voix des quinze à vingt députés d’Outre-mer groupés autour de Léopold Senghor (devenu anti-socialiste en raison des dissentiments qui l’opposèrent à Lamine Gueye au sujet de la mairie de Dakar) aient fait défaut à Christian Pineau sollicitant l’investiture de l’Assemblée, est certain. Mais, outre ces quinze à vingt voix que Christian Pineau n’a pas eues — si on en croit les chiffres, il est d’ailleurs fort douteux qu’elles lui eussent assuré une majorité — Edgar Faure en a eu une bonne soixantaine d’autres et c’est là le signe que le scrutin a une signification beaucoup plus profonde. Cette signification, il la faut, à mon sens, rechercher dans les remous d’un style nouveau qui agitent les milieux financiers depuis quelques mois: on a, en effet, l’impression que les grandes banques ont enfin réalisé qu’à faire s’affronter, comme elles le font depuis dix ans, leur représentants ou agents dans l’hémicycle parlementaire, elles couraient un grand danger.

En leur donnant la mesure de ce danger sous les espèces du programme économique et social qu’il garda soigneusement dans ses cartons, Mendès-France leur inspira le souci de rechercher une entente. Or, cette entente, une banque à laquelle on eut toujours le tort de n’accorder qu’une attention très limitée, la banque Worms écartée des allées du Pouvoir en 1946 par le départ du général de Gaulle, avait failli la réussir à deux reprises déjà: en 1934 — février! — et sous Vichy. Reléguée à l’arrière-plan, elle n’en avait pas pour autant ralenti ses efforts dans le sens de l’entente et il semble bien qu’elle ait réussi à faire comprendre aux autres que c’était là le seul moyen d’éviter dans l’avenir, à la fois les dissidences du type Lazard — coûteuses pour tous et non seulement pour Rothschild quand elles signifient la perte d’un marché national — et les francs-tireurs du type Servan-Schreiber et Gradis.

Sur le plan politique, l’homme était tout trouvé: Edgar Faure qui servit les banques américaines sous Laniel et Pinay (en réalité sous Monet-Pleven!), Rothschild sous René Mayer, Lazard et Servan-Schreiber sous Mendès-France. Ayant mangé à tous les rateliers, cet homme ne pouvait manquer d’être considéré comme étant le point de convergence de tous les intérêts. Il s’y prêta de fort bonne grâce.

Mais c’est une curieuse histoire que celle de la Banque Worms: celle de la synarchie.

Idée de la synarchie

Au lendemain de la guerre de 1914, on pensait généralement dans les milieux d’affaires que l’expérience commandait de remplacer d’urgence les parlements élus, entièrement aux mains d’intellectuels bavards, parfois talentueux, mais totalement incompétents dans les questions économiques, par des assemblées professionnelles où les représentants des plus gros intérêts financiers seraient pratiquement les maîtres.

Cette idée remontait fort loin: on peut, sans crainte d’être démenti, affirmer que les milieux d’affaires ont, dès les débuts de la 3e république, toujours été hostiles au régime parlementaire dans l’acception qui avait prévalu au regard de la Constitution de 1875. Si elle ne prit jamais suffisamment corps pour donner des chances de succès à un coup de force des milieux financiers contre des institutions qui, quoiqu’on en dise, étaient tout de même d’origine populaire, c’est uniquement que, dominés par les antagonismes qui les opposaient les uns aux autres, et notamment sur le plan bancaire, les financiers ne trouvèrent jamais de terrain d’entente assez solide pour les rassembler tous: les Rothschild, les Dreyfus, les Lazard, les Finlay, les Mallet, les Schneider, les Wendel, les Pereire, les Neuflize, etc. formaient un véritable panier de crabes et, les conditions objectives d’un coup de force eussent-elles été réalisées, qu’après, il eût encore été impossible de gouverner ensemble, chacun, comme il est — heureusement pour nous! — de règle dans la finance, voulant tout pour lui seul.

L’idée de synchroniser en un seul pouvoir — d’où le mot synarchie — les différentes influences économiques partit de leurs employés tous primés des grands-concours, polytechniciens, inspecteurs des finances, auditeurs au Conseil d’État, etc. qui avaient l’impression de payer tous ces antagonismes d’une situation matérielle bien au-dessous de leurs mérites: aux environs de 1922, un certain nombre d’entre eux mirent au point une Convention synarchique d’Action Révolutionnaire (C.S.A.R., cela vous dit quelque chose?) qui fut d’entrée soutenue par la Banque Worms et Cie (Cartel de Banques, d’entreprises industrielles et commerciales, de Cies de navigation, etc.)

Les premières lumières sur cette affaire, on les eut seulement en 1945 lorsque parut sous le pseudonyme de Geoffroy de Charnay (vraisemblablement Roger Mennevée qui y fut mêlé au titre d’acteur et non des moindres) un ouvrage intitulé Synarchie, depuis abondamment commenté par Roger Mennevée lui-même dans ses Documents, Beau de Loménie dans ses divers ouvrages sur les grandes dynasties et l’ami Galtier-Boissière dans son Crapouillot (Les Gros, Comment on devient milliardaire, Histoire de la Guerre, etc.). Synarchie est une liste de 25 documents recueillis entre 1942 et 1944 sous le gouvernement de Vichy: toute l’histoire de la finance dans ses rapports avec la politique depuis 1922, une excellente introduction à L’Ère des organisateurs (le mot étant entendu dans le sens de technocrates) de James Burnham.

La Convention synarchique

« Le premier état-major de la Synarchie, dit Beau de Loménie, aurait été composé de personnalités appartenant à des nationalités diverses et son action aurait été dominante dans les révolutions à caractère anti-démocratiques qui se succédèrent en Europe: le fascisme en Italie, le mouvement du général Rivera en Espagne, puis celui de Franco, l’Hitlérisme en Allemagne » (Crapouillot n° 20 — Les Sociétés secrètes).

En France, elle a présidé à la formation des ligues nationalistes, aux émeutes de février 1934, à la fondation de la Cagoule,et enfin, à la révolution nationale de Vichy.

En France toujours, son prophète fut un certain polytechnicien du nom de Jean Coutrot et d’une indiscutable valeur intellectuelle. Il avait décoré ses théories du nom d’Humanisme économique et il entendait arriver « à une solution de la lutte des classes par l’institution d’un nouveau type d’entreprises qui assurerait une meilleure répartition du PROFIT entre employeurs et employés au bénéfice d’une catégorie sociale, sinon nouvelle, du moins accrue en nombre et en importance, les technocrates. »

De fait, un des 25 documents qu’on trouve dans Synarchie, celui qui est connu sous le nom de « Rapport du Commissaire Chavin », précise:

« En gros, le moyen envisagé consiste à donner à chaque pays une constitution politique et une économie nationale de structure particulière, organisées conjointement en vue:

1° de placer le pouvoir politique directement entre les mains de mandataires des groupes intéressés;

2° de réaliser une concentration maximum dans chaque banque d’industrie afin d’y supprimer toute concurrence;

3° d’être maître absolu des prix de toute marchandise;

4° d’enfermer l’ouvrier dans un cadre juridique et social ne permettant plus de sa part aucune action revendicatrice. »

Sur la méthode elle-même, la convention synarchique dit:

« Notre méthode de révolution invisible et les techniques, stratégie et tactique de la révolution en ordre dispersé qui en découlent, ont été élaborées pour réduire au possible la violence émeutière ou insurrectionnelle inévitable quand l’idée atteignant la masse se dégrade en passion… Nous réprouvons la révolution dans la rue. Nous tentons de l’éviter partout. Nous faisons la révolution PAR EN HAUT » (!!!)

Cette révolution par en haut signifiait l’envahissement des grandes affaires privées de banque, d’assurance ou d’industrie et des corps de l’État par la constitution d’un brain-trust de techniciens en faveur duquel joueraient les camaraderies d’école et le prestige des titres universitaires: passe moi la tasse…

Par ce moyen, en 1936, Jean Coutrot lui-même réussit à devenir le principal conseiller du gouvernement de Front populaire constitué par Léon Blum qui l’avait embauché au service de Spinasse, ministre de l’Économie nationale!

Le fait prend toute sa saveur si on sait que, parallèlement, le commandant Loustaunau-Lacau, qui vient de mourir et qui avait profité de sa situation auprès de Pétain alors président (ou quelque chose de similaire) du Conseil supérieur de la Défense nationale, pour mettre l’armée dans le coup, était une des principales chevilles ouvrières de… la Cagoule!

Mais le plus beau succès de cette camarilla de technocrates fut, le 18 août 1940, la promulgation par le gouvernement de Vichy de la loi créant les célèbres « Comités d’organisation » pour la répartition des matières premières, des commandes et des crédits entre les différents établissements de chaque branche industrielle et commerciale: cette loi était l’oeuvre de l’ancien Inspecteur Bouthillier devenu ministre des finances grâce à l’appui de la Banque Worms, elle-même devenue toute puissante, son personnel de direction et ses conseillers qui appartenaient tous à la confrérie des diplômés de Polytechnique, de l’Inspection des Finances et des Sciences politiques ayant réussi à s’infiltrer partout à la faveur du désarroi consécutif à la débâcle.

Sous l’occupation

Avant d’être arrêté et déporté par les Allemands, Georges Valois qui connaissait remarquablement les dessous économico-financiers de notre époque pour avoir « touché » successivement à toutes les caisses, disait que le siège du gouvernement de Vichy se trouvait à Paris, Bd Haussmann, dans les bureaux de la Banque Worms.

A cette époque, les dirigeants de la Banque étaient un certain Jacques Barnaud, ancien inspecteur des Finances, Goudchaux, de même origine et le financier franco-anglais Worms, le premier seul étant aryen, les deux autres israélites.

Gravitaient autour d’eux, les frères Jacques et Gabriel Leroy-Ladurie, le premier Conseiller juridique du groupe (il en prit par la suite la direction générale), le second, une des éminences grises de Pétain; Olivier de Sèze, Inspecteur des finances en exercice, au service de la Banque de France au titre de contrôleur général, c’est-à-dire dans la place; Pucheu, David Weil, Boutemy (dispensateur des fonds de propagande); Ernest Mercier, le magnat de l’électricité qui avait lancé le « Redressement français » pour le compte de Poincaré en 1926, dont le gendre, Wilfrid Baumgartner est l’actuel directeur de la Banque de France; Lehideux, des usines Renault, Benoist-Méchin, Baudoin, etc…

On a dit que René Belin et André Philipp étaient de la bande, mais rien n’est moins sûr: on l’a probablement déduit du fait que ces deux doctrinaires du socialisme avaient, en 1937, collaboré à la revue « Les nouveaux cahiers », lancée par Jacques Barnaud et Jean Coutrot, dans le dessein de promouvoir le nouvel humanisme économique… Mais René Mayer, qui torpilla si bien le ministère Mendès-France, resté en France jusqu’en 1943 comme agent des Rothschild pour tenter d’éviter l’embargo gouvernemental sur leur immense fortune, n’y réussit, jusqu’à cette date, que grâce à ses accointances avec Bouthillier et Boutemy: on prétend que, s’il engagea ce dernier comme ministre de la santé publique, dans la dernière équipe ministérielle dont il fut le président, c’est par reconnaissance des services rendus aux Rothschild sous l’occupation… Il faisait d’ailleurs d’une pierre deux coups, car dispensateur des fonds de propagande sous l’occupation, le dénommé Boutemy l’était encore… sous le régime de la Libération (sic!). Si, comme on le sait, René Mayer fit un coup fourré qui lui fut, dans la suite, imputé à crime, c’est seulement que la situation n’était pas encore mûre pour une entreprise de ce genre.

Quoi qu’il en ait été, sous l’occupation, l’équipe de la « Convention synarchique » et de la Banque Worms joua le double jeu. Pour elle, disait Dominique Sordet, directeur de l’Agence Inter-France, qui mourut en prison après la guerre, « le fin du fin était de jouer la collaboration franco-allemande au comptant et la victoire anglo-américaine à terme ».

On ne pouvait mieux dire.

Toutefois, elle s’y prit assez mal puisqu’elle donna des inquiétudes à la fois au gouvernement de Vichy et au Befehlsmilitärhaber in Frankreich, qui avait établi son quartier général à l’Hôtel Majestic à Paris. Si elle s’en tira sans trop de dommages, c’est qu’à la suite de l’enquête ordonnée sur ses agissements, le commissaire Chavin, à qui cette enquête avait été confiée, se trouva, bien à son insu, dans la situation de remettre son rapport à… Pucheu, devenu ministre de l’Intérieur entre temps!

Mais elle avait réussi, paraît-il, à entrer en contact avec le trust Hermann Goering et la I.G. Farben en Allemagne, avec les Dupont de Nemours aux États-Unis, le trust germano-hollandais Lever-Brothers et les Worms de Londres: ceci explique cette communauté d’aspirations qu’on décela chez les chefs du grand capitalisme mondial, à partir de 1943, dans le sens d’une paix de compromis.

A la libération

La guerre finie, l’équipe essaya de mettre la main sur le général de Gaulle, mais celui-ci ne comprit pas tout de suite que lui était ainsi offerte a seule chance de ne pas succomber aux entreprises du bolchévisme du côté parlementaire et gouvernemental. Quand il le comprit, il était trop tard et, sans doute dans l’espoir de rattraper cette chance, il quitta le pouvoir et descendit dans l’arène des luttes politiques devant l’opinion publique.

Alors la Banque Worms qui avait réussi à rallier le grand patronat contre les faiblesses des gouvernements tri-partistes à l’endroit de la classe ouvrière, se mit à subventionner le R.P.F., puis les Indépendants, partis politiques ou factions à la tête desquels elle réussit à hisser des gens comme Pinay, Leroy-Ladurie, Loustaunau-Lacau, Léon Noël, Boutemy, Benoist-Méchin, etc…, qui étaient dans le coup avant la guerre déjà et qui avaient tous plus ou moins fait partie du personnel de Vichy.

… … … … …

En 1954, les ficelles du mouvement synarchique, soutenu sur le plan financier par la banque Worms, sont tirées dans la coulisse par Bouthillier — Flandin sur le plan politique, et Paul Reynaud n’est pas insensible aux sollicitations qui lui viennent de ce côté.

Edgar Faure, de la réussite parlementaire duquel il ne fut pas le moindre artisan, est-il l’homme de cette opération? Dans l’éventualité, il serait la plus qualifié pour la mener à bon terme.

On peut déjà dire qu’elle est en bonne voie, la banque Worms ayant réussi, pour la première fois depuis la fin de la guerre, à réaliser sur le plan parlementaire l’union des Indépendants, des Gaullistes et des ex-Gaullistes dont les représentants sont, de concert, entrés au gouvernement aux côtés de ceux des banques américaines, des banques Rothschild et de la banque Lazard.

Servan-Schreiber et Gradis ne sont plus dans le coup? C’est exact, mais, pour ne pas compromettre leur retour dans le giron, Edgar Faure a eu l’habileté — d’ailleurs en plein accord avec lui! — de ne pas embarquer René Mayer auquel ils pourraient garder une dent à la suite de l’affaire Mendès-France.

Comme d’autre part, Pierre de Gaulle, frère du général et Jacques Soustelle, les deux seuls empêcheurs possibles de danser en rond, ont été envoyés, l’un à Bruxelles, l’autre à Alger, on ne voit pas ce qui, dans un avenir immédiat, pourrait sérieusement s’opposer à ce qu’Edgar Faure fût l’homme d’une synarchie ressuscitée à un degré d’union et de puissance dont rien ne peut encore donner l’idée.

En tout cas, pas Edgar Faure lui-même, dont le passé « à tous les râteliers » et le genre de vie garantit que c’est son ambition.

Et pas davantage Wilfrid Baumgartner, gendre d’Ernest Mercier, et toujours directeur de la Banque de France!